Larry Scott (à gauche) et Freddy Ortiz (à droite)
Dave Draper, le nouveau chouchou de Joe Weider, remporte le titre Mr. America IFBB, Earl Maynard décroche celui de Mr. Univers IFBB, et Larry Scott devient le premier Mr. Olympia de l’histoire (Harold Poole, puis Earl Maynard complétant le podium). Larry Scott décrochera également le titre l’année suivante (là encore devant Harold Poole, mais aussi devant Sergio Oliva désormais présent, et terminant quatrième).
Si la victoire de Scott sur Poole en 1965 ne fut discutée par personne, il en sera tout autre l’année suivante. En l’année 1966 Poole remonte sur la scène de l’Olympia avec un physique amélioré, le meilleur de sa vie diront les observateurs, et cette fois les 8 juges présents ne réussirent pas à se mettre d’accord, attribuant quatre votes à l’un, et autant à l’autre ! La décision finale est donc revenue au chef des juges, Lud Shusterich, qui trancha en faveur de Larry Scott. Quelques minutes plus tard Shusterich se confessa en coulisse auprès d’Harold Poole lui-même en lui expliquant qu’il était en contrat avec Scott pour une future tournée d’exhibition en Europe, et qu’un nouveau sacre pour Scott l’arrangeait donc bien…
Juste après le show l’histoire fut rapportée à Ben Weider, mais ce dernier n’a pourtant pas demandé à ce que la finale soit rejugée façon impartiale cette fois… Avec le nombre de stars et de figures du bodybuilding présentent ce jour-là il n’aurait pourtant pas été difficile aux frères Weider de créer au pied levé un nouveau panel de juges… Mais il n’en fut rien, et c’est sans doute parce que Lud Shusterich travaillait pour les frères Weider, il était leur représentant en Europe… De nombreuses années plus tard Shusterich était toujours en poste à l’IFBB, prouvant que la passion des frères Weider pour le bodybuilding s’arrête là où leurs intérêts financiers commencent…
Qui aurait remporté ce Mr Olympia 1966 si un autre chef des juges, sans conflit d’intérêt cette fois, avait été présent ce jour-là ? Peut-être Harold Poole… ou bien alors peut-être que Larry Scott aurait quand même pris le dessus… on ne le saura jamais… Mais cette épisode mis de nouveau en lumière un facteur primordial dans le monde de la compétition, et parfois trop souvent oublié (même encore de nos jours) : la nécessaire intégrité et impartialité des Juges !
Au sommet de sa gloire en cette année 1966, Larry Scott décide alors de prendre sa retraite de compétiteur. Il continuera bien-sûr à pratiquer le bodybuilding tout le reste de sa vie, mais c’est désormais au travers de ses publications et de ses séminaires qu’il fera partager sa passion et ses précieux conseils aux générations futures.
Harold Poole et ses trophées du Mr Univers IFBB 1963
Larry Scott, entouré des frères Weider, recevant son trophée sur la scène du Mr Olympia 1965 (une couronne à l’époque)
À partir du milieu des années 60 les culturistes deviennent indéniablement de plus en plus massifs, et plus particulièrement aux USA où l’on commence à y maitriser de mieux en mieux les méthodes d’entrainement et de nutrition. Finit les 4-5 entrainements par semaine et le travail en full body, on passe désormais au split routine, avec un minimum de 6 trainings hebdomadaire, et de gros volumes d’entrainement. Du côté de la nutrition l’évolution est là tout aussi considérable, les athlètes mangent de plus en plus sainement et consomment davantage d’aliments protéinés. C’est également l’avènement des compléments alimentaires, avec notamment les vitamines et minéraux, et bien-sûr les fameuses protéines en poudre (ces dernières étaient déjà utilisées à partir des années 50, où elles furent notamment promus par le très controversé Bob Hoffman (chef de file de l’AAU, entrepreneur dans la vente de matériel de musculation, et propriétaire des prestigieux magazines dont Muscular Development and Strength & Health), même si à l’époque les compléments que vendaient Hoffman n’étaient pas forcément d’une très bonne qualité…
1965 marqua aussi l’histoire de ce sport de par l’ouverture du premier Gold’s Gym (à Venice, Los Angeles) par le promoteur Joe Gold. Adepte de la culture physique, ce businessman californien va ainsi offrir un espace d’entrainement entièrement tourné vers la pratique du culturisme, et équipé d’un matériel novateur, qualitatif, et quantitatif. Le Gold’s Gym va ainsi devenir le lieu d’entrainement incontournable de la côte ouest américaine, et une grande partie des meilleurs culturistes de l’époque vont s’y retrouver.
Le premier "Gold's Gym" (Venice, Californie)
"Gold's Gym" fin 1970 - début 1980 (Californie)
La star montante du culturisme californien de l’époque ce nommait Dave Draper. Ce grand blond, arrivant en Californie à l’âge de 22 ans, possédait des mensurations impressionnantes. À 24 ans il avait déjà conquis les titres de Mr. America IFBB et Mr. Univers IFBB. En 1967 il se présente au Mr. Olympia, mais il n’y finit pourtant que 4ème car la génération montante de l’âge d’or du culturisme présentait dès lors une quantité de bodybuilders absolument incroyables. Décrocher des titres face à une telle concurrence devenait alors de plus en plus difficile, pour ne pas dire un exploit !
Dave Draper remportant le titre de Mr America IFBB en 1965
En cette fin des années 1960, le champion qui marqua le plus les esprits fut sans conteste Sergio Oliva, surnommé fort légitimement par la suite « The Myth ».
En l’année 1967 cet exilé cubain arrivait à sa pleine maturité musculaire, et il fut dès lors le premier athlète noir de l’histoire à décrocher les plus prestigieux titres mondiaux dans cette discipline sportive. Il décroche ainsi son premier titre de Mr. Olympia en 1967 devant une grosse pointure de l’époque, Chuck Sipes (Mr. America IFBB 1959, Mr. Univers IFBB 1960, et 3ème de l’Olympia 1966, devant Oliva !), Harold Poole complétant le Podium. Au passage Oliva décroche par la même occasion le titre de Mr. Univers IFBB 1967.
Sergio Oliva, fin des années 60
En 1968 et 1969 Sergio Oliva reproduit sa performance, il est littéralement inatteignable ! Jamais dans l’histoire du culturisme on avait vu un athlète aussi volumineux, et sa taille fine de 74 cm venait renforcer davantage encore l’effet visuel de ses mensurations hallucinantes ! Ses bras de 56 cm à chaud (52 cm à froid) étaient tout particulièrement incroyables au vu de sa taille d’1m78.
Lors de sa victoire en 1968 Oliva n’eut à ses côtés aucuns adversaires présents sur la scène, certains des grands champions de l’époque étaient soit indisponibles, ou soit parfaitement conscients que le titre était déjà joué. En 1969 un seul adversaire eu le cran de monter à ses côtés sur la scène, et de relevé ainsi le défi, une étoile montante du nom d’Arnold Schwarzenegger… Les juges débâtèrent, les résultats furent serrés, mais c’est bien Sergio Oliva qui sorti vainqueur de ce duel historique. Ce fut la seule et unique fois où Schwarzenegger fut vaincu sur la scène d’un Mr. Olympia !
À gauche Joe Weider puis Arnold Schwarzenegger, et à droite Sergio Oliva recevant sa récompense pour son 3ème titre de Mr Olympia - 1969
La longévité de d’Oliva est tout aussi remarquable que son palmarès, car débutant les compétitions en 1963 (à l’âge de 22 ans), il continuera à fouler les planches de grands concours internationaux jusqu’en 1985, malgré ses déboires avec l’IFBB (j’y reviendrai dans un autre article), collectionnant ainsi de nombreux titres mondiaux dans d’autres fédérations. C’est ainsi qu’à l’âge de 44 ans, et devant une concurrence bien plus fournie que durant les années 60, Oliva réussissait encore à accrocher une 8ème place à l’Olympia. Après plus de 20 ans de carrière son physique ne s’était pas dégradé, Sergio restait Sergio, en atteste sa routine de posing libre au Mr. Olympia de 1984 (sur la musique de Star Wars) qui deviendra un moment culte de l’histoire de ce sport. The Myth ne gagna pas cette édition de 1984, n’y terminant qu’à la 8ème place (classement un peu injuste…), mais il y fut l’athlète le plus acclamé par le public !
Sergio Oliva en 1980, décrochant un nouveau titre mondial lors du World Championships WABBA
Sergio Oliva en 1980, décrochant un nouveau titre mondial lors du World Championships WABBA
Avec les titres de Mr Univers IFBB 1963 et Mr America IFBB 1964 attribués à Harold Poole, puis les 3 titres de Mr Olympia 1967 - 68 - 69 attribués là aussi à un athlète de "couleur", l’IFBB envoyait au passage un message clair : le racisme n’a plus sa place dans les compétitions de bodybuilding !
Dans un article précédant j’avais déjà évoqué le cas de Melvin Wells victime de jugements racistes lors d’éditions de Mr America AAU à l’ère du Silver Age, mais bien d’autres compétiteurs noirs furent eux aussi victimes du racisme sévissant encore fortement dans cette Amérique du milieu du XX siècle, à l’instar de George Paine, d’Arthur Harris, ou bien encore d’Harold Poole, pour ne citer que ces exemples. Dans ces conditions il leur fut malheureusement impossible de décrocher le titre suprême de l’époque, à savoir le titre de Mr America AAU.
De par cette attitude, l’AAU, et son dirigeant Bob Hoffman, vont paradoxalement se tirer une balle dans le pied, car à l’aube des années 60 beaucoup de compétiteurs se tournerons alors vers l’IFBB, accélérant en conséquence l’avènement et la montée en prestige de cette nouvelle fédération. Il faudra attendre 1970 pour que l’AAU accepte d’attribuer un titre de Mr America à un athlète noir, Chris Dickerson en l’occurrence. Mais pourtant dans les années qui suivirent beaucoup d’éditions de l’AAU furent de nouveau entachées par des décisions racistes, citons notamment la scandaleuse 5ème place de Robby Robinson (derrière quatre compétiteurs blancs) lors du concours du Mr America AAU de 1975, alors que Robinson présentait pourtant déjà à l’époque un physique hors norme, qui fera d’ailleurs de lui l’une des icones du Golden Age (d’ailleurs en cette même année 1975 Robinson remportera les titres de Mr World IFBB et de Mr America IFBB…).